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3 janvier 2014

Emmène-nous patiner

Quand j’étais petit, je n’étais pas grand (désolé, je ne pouvais m’empêcher de la faire…).

Je disais donc plutôt : Quand j’étais petit, j’adorais patiner. On avait la chance d’avoir un parc juste en face de la maison, et on y retrouvait l’hiver une grande glace pour le hockey, avec les bandes, les filets et tout le kit, plus un petit sentier raboteux qui faisait le tour du parc. Évidemment, on patinait presque tous les jours. C’était tellement accessible qu’on mettait même nos patins dans la maison, on déboulait l’escalier (du 2e étage), on traversait la rue en faisant des flammèches, et on embarquait sur la patinoire. On y passait de longues heures, et j’étais donc rendu quand même assez habile et solide sur mes lames. Aujourd’hui, maintenant père de famille, j’y vais avec les enfants de temps à autres. Disons que le patinage a perdu un peu de son charme. Voici mon histoire.

Pendant les fêtes, une bonne journée on décide d’aller patiner. Mon fils en avait fait à la campagne avec ses cousins la veille, et il avait retrouvé la « flamme de la lame». On sort donc le stock, on s’habille et je pars seul avec les deux mioches. Déjà dans l’auto, on a trop chaud. On n’a pas le choix de bien s’habiller, car dehors on gèle solide, mais dans l’auto on frôle le mal de cœur. Heureusement on n’a pas loin à faire. Après avoir habillement dérapé sur 3-4 stops avec le char, on se stationne au parc du quartier, et on se dirige vers la cabane. La fameuse cabane…

Le seul fait d’entrer là-dedans évoque en moi plein de souvenirs. Premièrement la porte trop lourde pour rien est pas aussitôt fermée que tu te mets à transpirer tellement il fait chaud. Mais pas « chaud » du genre « ah on est bien en dedans ». Non plus « ahh, c’est confortable », non; il fait chaud en tabarnak. Le chauffage est tellement dans le tapis que tu serais bien en bobettes, genre. Les murs suintes pis comme y’a aucune fenêtre pis que c’est mal éclairé, ça l’air d’un sauna. Un peu étourdi, poussé par le vent chaud du ventilateur, t’enjambes les bâtons de hockey que personne prend le temps d’accoter au mur, et tu déposes tes douze sac à dos près d’un bout de banc où y’a pas de bottes en-dessous, si t’es chanceux. Oui, douze sacs, parce que maintenant les enfants patinent avec des casques. Quand j’étais petit, on y allait à la mode « commando », ça prenait moins de place. Maintenant chacun a son sac, avec ses patins, ses protèges lames, son casque et sa guenille, plus une tuque pas de pompon qui peut entrer sous le casque. Plus 1 hockey pis 3 rondelles pour s’amuser. Viens ensuite la merveilleuse étape du laçage.

Tu t’installes donc devant tes enfants, un genou par terre dans la neige fondue, le souffle coupé parce que ta bedaine de bière est comprimée en dessous de tes deux couches de pantalons, et tu commences à préparer le premier patin. Étrangement, à chaque fois, les criss de patins semblent plus petits que la dernière fois, même si c’était la veille. Hier le pied a bien sorti, mais là, il n’entre plus du tout. T’es obligé de délacer l’osti de patin au grand complet pour faire passer la cheville molle de ton morveux qui pousse pas. Pis là quand tu le relaces, évidemment le cordon qui fait quand même à peu près douze pieds, a quand même trouvé le moyen de sortir des deux premiers osti d’œillets, pis t’es pas capable de le rentrer parce que le p’tit criss de plastique sur le bout y’é pété et donc le lacet est tout effiloché. T’essaye de le rouler du bout des doigts, en vain. Tu penses même pendant 2 secondes à le mouiller avec ta bouche, pour que ça roule mieux, mais l’odeur de calcium pis de caoutchouc chauffé te lève déjà le cœur. Évidemment, c’est pas long que les enfants commencent à se plaindre qu’il fait chaud, ajoutant un peu d’huile sur le feu de ta patience.

Pendant tout ce temps où tu continues de transpirer, y’a des étranges qui te regardent. Ça c’est l’autre affaire qui était pareil dans mon temps. Y’a tout le temps des ostis de bizarres dans ces cabanes là, hein? Soit tu pognes des enfants pauvres et sales qui portent clairement la tuque que leur père leur a laissé en héritage, soit 2-3 ados crasseux qui se sont roulé un p’tit joint en arrière d’la cabane, soit des douchebags qui s’appellent tous « big », ou bien des p’tits vieux seuls et un peu louches.

Une fois tout le monde péniblement chaussé, on s’enligne vers la porte. Pis là, avant même que t’ai le temps de dire quoi que ce soit, au ralenti comme dans un film, tes enfants sont penchés sur la fontaine pas propre pour boire une bonne gorgée d’eau jaune et tiède avant de sortir… Eurk.

Prochain défi : apporter la plus jeune, qui se tient à peine debout, jusqu’à la patinoire. Souvent je reste en bottes à cause de ça, mais là le plus vieux insistait pour que je chausse mes patins. J’essais donc d’avancer sur la glace raboteuse, tenant ma fille molle et sans aucun équilibre d’une main, le dos en train de barrer à force d’être croche. Tout qu’une aventure, mais on y arrive sans que ça saigne trop. 

Enfin arrivés sur la patinoire, on fait quelques tours, transis de froid. Oui parce qu’en dessous de notre manteau on est maintenant tous mouillés, tellement on a eu chaud. Après avoir donné une bonne swingue à la fille, j’essais de faire quelques moves de patin, mais je sens que mes chevilles n’ont plus aucun support. Je ne me sens pas trop en confiance quand je tourne, pis j’ai l’impression que si je brake trop sec, elles vont péter.

Comme je commence à peine à me réchauffer, ma fille me lâche un regard. Ce regard de petit chien mouillé qui me fait dire que j’suis déjà sur le bord en criss de retourner me faire du gros fun dans la cabane. Elle a froid, pis elle est tannée de tomber. J’essais donc de convaincre le plus vieux qu’on va bientôt s’en aller, lui qui semble si heureux. J’fais donc attendre un peu la petite pour être « fair », et après avoir fait disparaître tout sourire du visage du plus vieux, on se réenligne en famille sur la cabane en plywood. Pis à on r’commence tout, mais à l’envers, en commençant par la gorgée d’eau tiède…


Après avoir finalement passé plus de temps dans la cabane que sur la patinoire, je retourne donc à la maison le dos en compote, les chevilles barrées, avec mes enfants qui ont trop chaud, vraiment faim et qui sont fatigués. Pur bonheur d’hiver.