Quand j’étais petit, je n’étais pas grand (désolé, je ne
pouvais m’empêcher de la faire…).
Je disais donc plutôt : Quand j’étais petit, j’adorais
patiner. On avait la chance d’avoir un parc juste en face de la maison, et on y
retrouvait l’hiver une grande glace pour le hockey, avec les bandes, les filets
et tout le kit, plus un petit sentier raboteux qui faisait le tour du parc.
Évidemment, on patinait presque tous les jours. C’était tellement accessible qu’on
mettait même nos patins dans la maison, on déboulait l’escalier (du 2e
étage), on traversait la rue en faisant des flammèches, et on embarquait sur la
patinoire. On y passait de longues heures, et j’étais donc rendu quand même
assez habile et solide sur mes lames. Aujourd’hui, maintenant père de famille, j’y
vais avec les enfants de temps à autres. Disons que le patinage a perdu un peu
de son charme. Voici mon histoire.
Pendant les fêtes, une bonne journée on décide d’aller
patiner. Mon fils en avait fait à la campagne avec ses cousins la veille, et il
avait retrouvé la « flamme de la lame». On sort donc le stock, on s’habille
et je pars seul avec les deux mioches. Déjà dans l’auto, on a trop chaud. On n’a
pas le choix de bien s’habiller, car dehors on gèle solide, mais dans l’auto on
frôle le mal de cœur. Heureusement on n’a pas loin à faire. Après avoir habillement
dérapé sur 3-4 stops avec le char, on se stationne au parc du quartier, et on
se dirige vers la cabane. La fameuse cabane…
Le seul fait d’entrer là-dedans évoque en moi plein de
souvenirs. Premièrement la porte trop lourde pour rien est pas aussitôt fermée
que tu te mets à transpirer tellement il fait chaud. Mais pas « chaud »
du genre « ah on est bien en dedans ». Non plus « ahh, c’est
confortable », non; il fait chaud en tabarnak. Le chauffage est tellement dans
le tapis que tu serais bien en bobettes, genre. Les murs suintes pis comme y’a
aucune fenêtre pis que c’est mal éclairé, ça l’air d’un sauna. Un peu étourdi,
poussé par le vent chaud du ventilateur, t’enjambes les bâtons de hockey que
personne prend le temps d’accoter au mur, et tu déposes tes douze sac à dos près
d’un bout de banc où y’a pas de bottes en-dessous, si t’es chanceux. Oui, douze
sacs, parce que maintenant les enfants patinent avec des casques. Quand j’étais
petit, on y allait à la mode « commando », ça prenait moins de place.
Maintenant chacun a son sac, avec ses patins, ses protèges lames, son casque et
sa guenille, plus une tuque pas de pompon qui peut entrer sous le casque. Plus 1 hockey pis 3 rondelles pour s’amuser. Viens ensuite la merveilleuse étape du
laçage.
Tu t’installes donc devant tes enfants, un genou par terre dans
la neige fondue, le souffle coupé parce que ta bedaine de bière est comprimée
en dessous de tes deux couches de pantalons, et tu commences à préparer le premier
patin. Étrangement, à chaque fois, les criss de patins semblent plus petits que
la dernière fois, même si c’était la veille. Hier le pied a bien sorti, mais
là, il n’entre plus du tout. T’es obligé de délacer l’osti de patin au grand
complet pour faire passer la cheville molle de ton morveux qui pousse pas. Pis
là quand tu le relaces, évidemment le cordon qui fait quand même à peu près
douze pieds, a quand même trouvé le moyen de sortir des deux premiers osti d’œillets,
pis t’es pas capable de le rentrer parce que le p’tit criss de plastique sur le
bout y’é pété et donc le lacet est tout effiloché. T’essaye de le rouler du
bout des doigts, en vain. Tu penses même pendant 2 secondes à le mouiller avec
ta bouche, pour que ça roule mieux, mais l’odeur de calcium pis de caoutchouc
chauffé te lève déjà le cœur. Évidemment, c’est pas long que les enfants
commencent à se plaindre qu’il fait chaud, ajoutant un peu d’huile sur le feu
de ta patience.
Pendant tout ce temps où tu continues de transpirer, y’a des
étranges qui te regardent. Ça c’est l’autre affaire qui était pareil dans mon
temps. Y’a tout le temps des ostis de bizarres dans ces cabanes là, hein? Soit
tu pognes des enfants pauvres et sales qui portent clairement la tuque que leur
père leur a laissé en héritage, soit 2-3 ados crasseux qui se sont roulé un p’tit
joint en arrière d’la cabane, soit des douchebags qui s’appellent tous « big »,
ou bien des p’tits vieux seuls et un peu louches.
Une fois tout le monde péniblement chaussé, on s’enligne
vers la porte. Pis là, avant même que t’ai le temps de dire quoi que ce soit, au
ralenti comme dans un film, tes enfants sont penchés sur la fontaine pas propre
pour boire une bonne gorgée d’eau jaune et tiède avant de sortir… Eurk.
Prochain défi : apporter la plus jeune, qui se tient à
peine debout, jusqu’à la patinoire. Souvent je reste en bottes à cause de ça,
mais là le plus vieux insistait pour que je chausse mes patins. J’essais donc d’avancer
sur la glace raboteuse, tenant ma fille molle et sans aucun équilibre d’une
main, le dos en train de barrer à force d’être croche. Tout qu’une aventure,
mais on y arrive sans que ça saigne trop.
Enfin arrivés sur la patinoire, on
fait quelques tours, transis de froid. Oui parce qu’en dessous de notre manteau
on est maintenant tous mouillés, tellement on a eu chaud. Après avoir donné une
bonne swingue à la fille, j’essais de faire quelques moves de patin, mais je
sens que mes chevilles n’ont plus aucun support. Je ne me sens pas trop en
confiance quand je tourne, pis j’ai l’impression que si je brake trop sec,
elles vont péter.
Comme je commence à peine à me réchauffer, ma fille me lâche
un regard. Ce regard de petit chien mouillé qui me fait dire que j’suis déjà sur
le bord en criss de retourner me faire du gros fun dans la cabane. Elle a
froid, pis elle est tannée de tomber. J’essais donc de convaincre le plus vieux
qu’on va bientôt s’en aller, lui qui semble si heureux. J’fais donc attendre un
peu la petite pour être « fair », et après avoir fait disparaître
tout sourire du visage du plus vieux, on se réenligne en famille sur la cabane
en plywood. Pis à on r’commence tout, mais à l’envers, en commençant par la
gorgée d’eau tiède…
Après avoir finalement passé plus de temps dans la cabane
que sur la patinoire, je retourne donc à la maison le dos en compote, les
chevilles barrées, avec mes enfants qui ont trop chaud, vraiment faim et qui
sont fatigués. Pur bonheur d’hiver.