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11 avril 2012

La tendance est au rouge...

J’ai envie de vous parler de rouge ce matin. Mais pas de p’tits carrés, plutôt de ronds… soit les feux de circulation. Il y a à peu près un an, je traversais tout bonnement une petite rue du centre-ville, sur la rouge évidemment parce qu’il n’y avait pas d’autos en circulation. Rien de bien surprenant me direz-vous, c’est plutôt la norme à Montréal. Juste à faire un tour sur Sainte-Catherine pour voir que le piéton est roi.


Mais voilà-tu pas qu’en posant l’orteil sur le rebord du trottoir, rendu de l’autre côté, apparait dans mon champ de vision un poulet dans son bel uniforme, sourire aux lèvres, comme un pêcheur venant de ramener un beau poisson dans son filet.

« Monsieur, venez-ici SVP ». « La lumière là, elle était quelle couleur? »

« euh… Rouge? »

« Ben oui, hein? ». « J’vais prendre vos papiers d’identité SVP ». « Vous allez recevoir une contravention par la poste »

« et bien… que dire… merci… c’est trop… »

Tout d’un coup, j’me suis senti vraiment idiot. J’étais dans la première phase, l’état de choc. J’me sentais comme un ti-cul qui vient de se faire pincer à voler un bonbon au dépanneur. Debout devant tout le monde sur le coin de la rue, attendant mon billet bien gentiment. J’me sentais con de pas l’avoir vu, bien accoté sur le poteau n’attendant que j’enfreigne la loi drette dans sa face. Mais aussi pour le ridicule de la situation; se faire arrêter pour traverser une rue à pied, on a vu pire comme méfait. On ne parle pas ici d’un boulevard à 6 voies, mais bien d’une petite rue pas très passante qui mène pratiquement à un cul de sac. Y’a tellement personne qui tourne sur cette rue que y’a même une traverse de vers de terre d’avril à novembre…

Un fois mon beau billet en main, je me remets en route, un peu légèrement en tabarnac. Rien de plus frustrant que d’aller travailler pour revenir à la maison avec une contravention, devant ainsi une partie de mon salaire à la ville de Montréal. Vous l’aurez compris, j’étais dans le déni. Et là vous aurez compris que je ne parle pas de « Denis » Lévesque…

Ensuite, phase de désespoir : je continuais ma route, m’arrêtant bêtement à chaque lumière rouge, maudissant le retard que j’accumulais, et l’impression d’être le seul cave à attendre sur le coin des rues pour pas se faire chicaner, jusqu’à ce que j’arrive enfin au terminus.

Puis, dans les jours qui ont suivi, j’ai continué de m’arrêter à chaque lumière rouge, inspectant les alentours pour essayer de débusquer le vilain policier caché, persuadé qu’il me traquait à travers la ville, dans l’espoir de doubler ma contravention. J’ai réalisé que ça m’angoissait sérieusement de toujours me demander si je pouvais traverser ou pas, alors je me suis dit « d’la marde », si c’est rouge, et bien j’attends, pis c’est toute. Phase de détachement. Et c’est là que ça a commencé à devenir intéressant.

J’ai commencé par me rendre compte que je ne sauvais pas significativement de temps en bout de ligne. 2 minutes au mieux par trajet. « Big deal ». Ensuite, regardant à chaque coin de rue les gens me dépasser et traverser sur la rouge, je me suis rendu compte qu’effectivement, bien souvent pour ne pas dire « quotidiennement », ils nuisent considérablement à la fluidité de la circulation, risquant même dans plusieurs cas de créer des accidents sérieux… et pour aucune raison valable. J’entrais visiblement dans la dernière phase, l’acceptation.

Je me plais maintenant à regarder chaque semaine des poissons se faire prendre par le vilain agent de la circulation, tout comme moi l’année dernière, et je ne peux m’empêcher de sourire en passant près d’eux… sachant que je vais arriver au terminus bien avant eux. Et comme je marche très vite, genre plus vite que le monde qui marche vite, je rattrape toujours les gens après 1 ou deux coins de rues. Mais le plus étonnant, c’est que je me rends souvent compte que quand les gens arrivent sur le coin de rue avec une lumière rouge et remarquent que je ne bouge pas, ils se sentent bien nerveux tout d’un coup, et n’osent plus bouger. Ils ont l’air de se demander pourquoi je reste là. Ai-je vu quelque chose qu’ils n’ont pas vu? Est-ce un piège? Et dans d’autres visages, on lit clairement la gêne, comme s’ils n’osaient pas être les seuls à transgresser la loi. Comme si c’était moins cool, maintenant qu’ils étaient seuls à le faire. Et ce moment là, c’est mon préféré, car je réalise que de ma petite personne, je peux avoir une certaine influence sur les gens qui m’entourent, aussi minime soit-elle. Après tout, c’est un peu comme ça que les modes sont lancées. Un individu a le courage d’assumer une tenue nouveau genre, et suffit de quelques suiveux pour que la nouveauté devienne une tendance...

Donc pour moi c’est réglé, tenez-vous le pour dit, j’attends mes lumières rouges. Pas parce que j’ai peur de me faire frapper, mais par principe. Parce que si un jour ce système a été mis en place, c’est pour la sécurité de tous. Est-ce que je créerai une tendance? Surement pas, mais j’suis à l’aise avec mon choix. Et après tout, je me tue à dire à mes enfants de pas traverser sur une lumière rouge, faut bien que je m’assume en tant que grande personne…

1 commentaire:

Clau a dit…

Comme tu es sage, j'ai presqu'envie de faire comme toi, mais je ne peux pas car moi je marche lentement, plus lentement que les gens qui marchent lentement.

ps. J'ai nourris tes poissons.