M'en allant à l'épicerie de bon matin, j'écoutais du bon
gros rock sale, le cœur léger. Le ciel était gris mais l'humeur était quand même là.
Quelques minutes et deux lumières rouges plus tard, j'me stationne près du
rangement à panier comme d'habitude; c'est mon "sweet spot". Je mets ça sur le
park, je sors mes sacs d'épicerie, et me dirige clopin-clopant vers le hall
d'entrée. Un vrai gai-luron, tsé... Les portes automatiques s'ouvrent de chaque côté, je fais deux pas
vers l'intérieur et paf! Mon monde s'écroule.
Évidemment ces temps-ci c'est le retour de la musique de
noël dans les magasins et épiceries. Sauf au Dépanneur Mon Ami, à quelques
coins de rue de chez moi; le proprio, Monsieur Bow, et sa douce moitié, madame
Ling (hé hé), n'ont jamais l'air trop dérangé par notre temps des fêtes. Mais
ce qui me frappe de plein fouet ce matin en entrant à l'épicerie, c'est pas la
musique habituelle du CD de tounes de noël en vente dans tous les bons Rossy.
Ne non; ils ont sorti le gros kit à matin, y'ont décidé de nous gâter solide:
ce que j'entends, c'est du violon. Beaucoup trop de violons. En fait, y'a tout
l'Orchestre des p'tits Violonneux de Saint-Ciboire, avec leurs tuques blanches
pis leurs chandails rouges, venus nous réciter, à mon grand désespoir, les
classiques du temps des fêtes au violon. Cibole.
J'ai rien contre le violon comme tel, c'est un bel
instrument noble et rustique. Mais le violon du style "j'ai commencé mon
cours en septembre pis là je me produis devant le public du IGA pris en otage",
c'est autre chose. Pis c'est pas comme pour le p'tit vieux avec le chapeau
croche qui vend des épinglettes de l'Armée du Salut à la sortie de la place, avec qui
le malaise est vite passé. Là, je savais que j'en avais pour un bon vingt minutes
à remplir mon panier tout en écoutant un massacre de nos classiques des fêtes
joués un demi temps trop lent.
Le temps que je fasse la section des fruits, des croissants,
des charcuteries pis l'allée des boulettes de viandes congelées, je m'étais
déjà tapé "Frosty the Snowman", "Jingle Bell Rock", "Le
sentier de neige", pis la toune que t'as le goût d'entendre juste le matin
de noël, pas avant ni après, "Joyeux Noël et Bonne année".
Tout d'un coup, silence, ça s'arrête. Y prennent un break?
Yé! Juste comme je commence à penser que je vais être bon pour finir mon
épicerie tranquille pis que je m'enligne vers l'allée des pains et céréales, ça
se met à applaudir toé. Un torrent d'applaudissements à tout rompre. La foule
en délire. Criss, arrêtez-moi ça tout de suite bande de clowns, ça va les
encourager pis ils vont recommencer les petits maudits! Comme de fait; ça fait pas 5 secondes pis
les Petits Violons Désajustés de Sainte-Perpétue repartent ça rien que sur une
gosse avec "Vive le vent" dans le tapis. Pis le plus beau, c'est que y'en a un dans
la gang à qui y'ont donné une cymbale pour imiter des grelots, pis y doit être
content en criss parce que y'a swingue sa cymbale toé! Hé monsieur... On a pu
l'impression d'être en carriole dans les vallées enneigées; là on descend l'Everest
sur une luge pas de breaks avec les grelots d'la tuque qui revolent aux quatre vents!
Deux minutes passent, le temps que je me rende dans le coin
des chips, pis la toune finie. La même bande de zouaves applaudissent, mais là
en plus j'croise tu pas une maman qui essaie de faire taper des mains son p'tit
mousse de quelques mois assis en avant du panier pis d'y faire dire
"encore", alors que visiblement tout ce qu'il sait faire c'est de
baver sur le barreau du panier pour se faire les dents. Belle cruche...
J'finis quand même par compléter ma liste d'épicerie dans la
joie et l'allégresse, puis je passe à la caisse, la tête remplie de cantiques
pis d'un peu d'agressivité passive dans mon coeur. Une fois le tout payé, je
quitte vers la sortie, pis je vois tu pas deux grandes ados qui tiennent des
canisses pour ramasser du change pour la Fondation des Violons malheureux de
St-Jean des Misères. Je réalise à ce moment que non seulement j'ai enduré le
supplice pendant vingt minutes, mais je vais devoir payer en plus pour le show.
Pis pour s'assurer que tu vas donner, ils ont mis la plus mignonne de la gang
des violoneux juste à côté de la porte, avec sa tuque de noël pis ses tresses
qui dépassent. Résigné à mon sort, je sors mon portefeuille et je réalise qu'il
me reste juste un dollars, parce ce que je paye toujours avec mes cartes. Je
passe donc devant les filles, je mets ma grosse piastre de cheap dans le trou de la
canisse qui en tombant tout au fond résonne magnifiquement pour indiquer à tout
le monde aux alentours que j'ai crissement pas été très généreux, et je sors
enfin, en regardant par terre, pour regagner ma voiture, plus pauvre et mélancolique.
Une fois le stock rangé et assis derrière mon volant, je réalise
alors que contrairement au Ebenezer Scrooge de Charles Dickens, j'ai commencé
la journée heureux et serein, pis que là, grâce à l'Esprit de noël, je suis
assis dans mon char, je file cheap et j'ai le cœur amer. Maudits violons à marde!
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